Guy Lafitte

 

Aller à la rencontre du musicien et découvrir l'homme, le terrien, le sage, le conteur. Il vit là, dans cette ferme blottie dans les côteaux de l'Isle en Dodon, dans cette Gascogne. Guy Lafitte, saxophoniste de jazz, personnage haut en couleurs qui a bourlingué pratiquement sur toutes les scènes du monde avec les plus grands jazzmen américains, Big Bill Broonzly, Mezz Mezzrow, Bill Coleman (qui deviendra son voisin de terre et avec qui il sera au départ de l'aventure Jazz in Marciac), Dicky Welles, Stephane Grapelli et tant d'autres.

Dans le mileu du jazz, eh oui, il existe!, dès qu'on prononce le non de Guy Lafitte, les réactions sont multiples. Il y a d'abord un grand respect, ensuite certains disent qu'il n'a pas le succès qu'il devrait avoir, d'autres avancent que ce n'est pas ce qu'ils recherche. Alors, qu'en est-il ?

 

Guy Lafitte : "C'est vrai, je n'ai jamais cherché à faire de ma vie, une réussite. J'ai tout ce qu'il me faut faut ici : une jolie maison, un joli tracteur, un chien qui est le meilleur des chiens - quand je le regarde, je crois rêver -, des arbres magnifiques et naturels, une terre que j'aime, une femme merveilleuse, des amis sensationnels. Pour moi, c'est ça ma réussite,. Un petit vingt ans d'âge? ". Maintenat bosser comme un dingue, aller faire des studios, faire ceci, cela, apprendre ça pour montrer qu'on sait le faire, ça non! Je n'ai jamais jouer quelquechose pour montrer que je savais. Alors evidemment c'est pas toujours marrant pour un critique de jazz qui va dire : «Qu'est-ce que vous voulez raconter sur Lafitte » Alors ne dites rien, croyez-moi, je suis heureux, pas de la façon dont je joue mais de la façon dont je vis"

 
Jazz Hot : Quand on fait un parcours comme le tien, est-ce encore important de se retrouver dans son pays et sur des scènes, est-ce que ça peut amener des idées nouvelles à ton travail ?

"Ca dépend dans l'esprit de qui. Il y a des toulousains, des gascons, des gens d'ici, qui ont besoin de Paris. Hors de Paris, il n'y a pas de salut pour eux puis il y a en d'autres, comme moi, qui ne peuvent pas supporter une certaine vie. J'ai fait quand même 25 ans de Paris. Et oui, comme quand on sort de taule, on dit «Je viens de me tirer 25 ans». Je suis revenu ici, parce que j'ai toujours aimé la terre, mon rêve c'était d'avoir une ferme, mais une vraie où on fait vraiment le boulot. Tu sais, des gascons à Paris, il y en a en pagaille, mais ils sont plus parisiens que n'importe qui. Il n'y a qu'une chose : ils perdent rarement leur accent, leur timbre."

 

Le timbre d'une voix peut-il s'entendre à l'écoute d'un saxophone ?

"C'est une spéculation que j'aime bien. Moi, je joue très souvent dans le grave du saxophone. J'ai une voix grave, j'aime que ça sonne grave et, quand je joue, je me réfugie là-dedans, c'est automatique."

 

Tu joues essentiellement la musique des noirs américains. Comment es-tu aussi bien accepté dans leur histoire ?

Avec les noirs américains, on s'entend toujours très bien. Je suis obligé de toujours faire cette différence et ça m'ennuie. Je n'aime pas faire de différences sur les races, j'ai horreur de ça même, mais enfin j'ai constaté que je me suis toujours très très bien entendu avec eux. Peut-être toujours un peu moins bien avec les autres, c'est étrange, mais je n'en tire pas de conséquences."

 

Et Marciac ?

Je n'étais pas là la première année, j'avais du boulot ailleurs. L'homme qui est au départ de Marciac n'étais pas d'ici, mais je crois de Saint-Leu La Forêt. Il avait des parents à Marciac, et tous les ans il venait. Un jour, il regardait les lieux et dit à un élu « Pourquoi vous ne faitez pas un festival ici, ce serait formidable.». Il est tombé sur terrain vraiment fertile, les types ont dit «Pourquoi pas ? On va essayé ». Ils ont fait le premier festival en 77 aux arènes. Il y avait Claude Luter, Bill Coleman...et c'est à peu près tout. Bill Coleman veanait d'arriver ici, savait que je vivais dans le coin, il en avait marre de Paris et m'avait dit : « Peux tu nous trouver une maison vers chez toi ? Alors, j'ai cherché, très heureux de l'amener ici, j'ai trouvé une maison à Cadeilhan, juste à côté. Ils sont venus immédiatement et ont adopté le pays. L'année suivante, Bill m'a demandé de jouer et depuis j'y suis...Il m'ont même mis Président d'Honneur à vie."

 

Parle nous de ton quartet...

"...Oh la la! Tu sais avec Jeannot (Rabeson), All (Levit) et Pierre (Boussaguet) nous sommes des amis à un point extrême. Nous sommes quatre types très différents et chacun amène quelque chose. Si un manque c'est une catastrophe, sans eux, je ne joue pas la même musique. A ce propos, je dois dire qu'elle est plus profonde, j'en suis certain, que tous ces types peuvent l'imaginer en écoutant le jazz-normal. Avec Boussaguet, Levit, Rabeson, nous jouons un jazz relativement classique mais quand on me dit : << Oui, c'est classique, c'est Hawkins ... >> Putain, mais qu'il n'entende pas Rollins, Lester, Charlie Parker, qu'il n'entende pas tout ce que je mets et tout ce que les autres n'ont jamais fait, oui, j'ai la colère, c'est la première fois que je le dis à un journaliste, fallait bien que ça arrive un jour. Eh, les gars, vous n'entendez pas, vous n'osez pas y croire (rouge de colère), nous ne sommes pas américains, nous n'apportons pas un message, nous ne sommes pas chargés des dernières nouveautés, la musique que nous jouons est autant européenne qu'américaine. L'accent est américain, il y a une façon de jouer mais je puises aussi bien dans Debussy, un valse-musette ou les chansons de Trenet. Pourquoi je m'y refuserai !? Je jouerais mal, le jour où je copierais".

 

Il faut quand même parler de Coleman Hawkins, il est important dans ta vie...

"Je l'aime beaucoup, c'est de l'amour, mais par moments, comme quelqu'un qu'on aime, on en arrive à le détester et je me dis « surtout je ne veux pas jouer comme lui ». De temps en temps je lui rends hommage, j'exagère et on entend Hawkins, presque... Je me régale, c'est bien mon droit. En fait, pour moi, il est beaucoup plus que les autres mais, dans la graduation de mes admirations, il n'en a pas plus que Gonzalvez ou Lester Young. J'ai eu comme maître Don Byas, ça c'est vrai, je le connaissais, il me donnait des conseils, il m'enguelait. Mais Hawkins, j'ai joué une fois avec lui, je l'ai rencontré trois fois, on s'est dit «Bonjour, bonsoir» pas un mot de plus."Tu te rends compte, il est là sur la cheminée, j'ai pas le portrait de mon père, mais j'ai celui de Hawkins. C'est mon maître, c'est un grand mystère, il a ce discours et cette profondeur qu'il avait dans le discours, ce n'est jamais une façon de jouer ; il va loin et moi, je suis imprégné de ça."

 

Que penses-tu de la nouvelle génération de saxophonistes ?

"Il ya des types admirables, étonnants, mais je ne trouve pas l'amour que je cherche et l'histoire qu'ils racontent ne me passionne pas. Elle n'est pas à l'échelle humaine, ils dépassent l'histoire, veulent raconter une histoire et le saxophone où l'instrumentiste passe au-dessus de l'histoire. Je trouve épouvantable le type qui joue trop bien. Notre musique est faite pour passer l'émotion, pas pour passer ou se montrer, faire une exhibition ou être à la mode, dans le coup."

 

Comment vois-tu la scène jazz au quotidien, en France ?
 

"C'est lamentable et j'ai peur que ça ne s'arrange pas. Il y a les festivals, c'est bien mais ça nous fait travailler peu. Avant, on faisait deux mois dans une boîte, maintenant on fait deux jours ou qu'un... C'est effrayant et pourtant, il n'y a jamais autant de musiciens de valeur. Actuellement, les jeunes apprennent tout ce que nous ne connaitrons pas avant de mourir (rires). Techniquement, ils apprennent tout : l'harmonie, le contrepoint, la fugue, ne parlons même pas de l'instrument ,de haut en bas ils en connaissent tous les mystères."C'est peut-être pour cela qu'ils ont besoin des anciens comme passeurs..." Oui, mais nous recevons d'eux, c'est l'échange, on a besoin les uns des autres. Si tu mets quatre vieux ensemble, excuse-moi, ça va être vieux et on va s'emmerder...a un moment, ça va être le musée Grévin de la musique de jazz et ça, c'est pas marrant. Moi, ils me faut des types jeunes, qui me provoquent, il faut toujours être provoqués sinon, on crève. "Au niveau des disques as-tu des projets ?"Non, j'ai horreur d'enregistrer. Tu sais, tu ne trouveras aucun musicien en France qui ait fait autant de disques que moi. Je me suis arrêter de compter quand on est arrivé ici et j'en étais à plus de 140. Avec le quartet, on en a fait trois. Je n'aime enregistrer sur commande, j'ai peur, on n'ose pas. Le meilleur endroit où l'on joue, c'est la boîte de nuit."J'ai l'impression que les musiciens toulousains te trouve loin, alors que tu n'es qu'à une centaine de kilomètres d'eux...Quel est ton rapport avec eux?Moi j'aime pas aller là-bas, c'est la ville et j'ai horreur de là ville. Qu'ils viennent, on ne demandent que ça, ici on mange bien, on boit bien, on fait de la musique, vers minuit, ma femme va dormir et nous on continue jusqu'à 4 ou 5 heures du matin. Si on n'a pas envie d'en faire, on en fait pas. On parle de mille autres choses, tous ces types qui ne font que de la musique, au fond, ils me fatiguent. Là j'ai envie de me promener, et tout seul même.... Là, je me regale, je regarde des trucs qui n'ont aucun intérêt pour personne, un brin d'herbe peut prendre une valeur terrible, et ça, c'est pas du bidon pas la poésie du pauvre, c'est la réalité. Moi, ça me suffit amplement. Helas, si je ne joues pas, je suis malade, alors là, le coeur fout le camp, je deviens abattu, acariâtre ma femme me dit : « va jouer, je ne peux plus te supporter... » Je vais jouer, je reviens, waouh! une santé terrible ... tout va bien " .

 

Et l'Armagnac ?

Quand tu en bois un mauvais, c'est important. Tu te dis « jamais j'aurais du » alors que tu te régales avec un bon. Tu sais tout ce qui est bon est important : une odeur de la campagne, un son, si tu n'en profites pas c'est dommage, le goût du pain c'est formidable, un saucisson, des haricots de Tarbes qui ont poussé comme ont faisait avant autour des jambes des maïs, tu te rends comptes... "
 

Jacme Gaudas

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