10emes Musiques Croisées de St Sever

 

Festival atypique, idyllique, sympathique, installé dans les Landes par la volonté d'Alex Dutilh, aujourd'hui rédacteur en chef de Jazzman et responsable du célèbrissime Studio des Variétés cher à Sir Jack Lang de Blois, "Musiques Croisées ", bien dans ses murs au Couvent des Jacobins, propose rencontres, colloques, concerts, gastronomie. Un peu les université d'été de ces foutues "Musiques actuelles ", comme ils disent dans les couloirs des ministères, des conservatoires, des écoles quelles soient publiques, privées ou associatives.

 

Vendredi 4 septembre

Il est 15h30 quand on arrive avec Philippe Metz, bouillant directeur de Music'Halle, l'école des Musiques Vivantes à Tolosa. Salle Capitulaire, il est question de "Musiques actuelles, des pédagogies qui s'inventent en marchant ", thème du colloque du jour. Une estrade et des chaises, quelques une sont occupées. A la tribune Gérard Authelain, directeur du Centre de Formation pour les Musiques Actuelles de Lyon, parle de lui et de son aventure avec la pratique de l'enseignement de la musique à la manière d'un vieux routier soixante huit tard. Marcuse à l'appui, il se lance dans une énumération de clichés éculés, un états des lieux de plus avec préconisations de ce qu'on sait déjà : " La pratique du social par la thérapie de la musique à coups de subventionsÉ, Il faut travailler le rap comme une pratique artistiqueÉ " Sacré Gérard, le cul coincé entre le public et l'associatif, il n'a pas encore choisi, remet en cause les graphiques des cursus mis en place par l'enseignement public et se veut le sauveur de l'école républicaine laïqueÉC'est un rechercheur de la "qualité artistique ".

A ses côtés, Arnaud Merlin, man de Jazzman, joue l'animateur avec un grand professionnalisme.

" Je ne suis pas d'accord, je suis en OccitanieÉ , donc il faut renverserÉ " Metz entre dans la danse avec l'énergie toulousaine, à la castanha. " A Music'Halle on fabrique une pédagogie basé sur la pratique amateur, populaire, pas populisteÉ on est enfin sorti du real book, halte au clonage du musicien de jazz des standardsÉ " Avec lui, la FNEJ (Fédération Nationale des Ecoles de Jazz) se positionne et mène aux points. Authelain pare le coup d'une pirouette trop facile : " Je suis d'accord mon cher Philippe, il faut aller au-delà de mon RapportÉ " Hé ! En plus c'est un rapporteur patenté.

" Ne soyons pas normatif ! Les reconnaissances des compétences doivent être retenuesÉ " Alex de St Sever intervient, calme le jeu, "Soyons pragmatique, faisons en sorte qu'il y ait une réponse administrative, mais ce n'est pas suffisantÉ On est pas sur de nos réponses pédagogiqueÉ , soyons à l'écouteÉ "

Nous y sommes et qu'entend on ? Toujours le même discours officiel de Paris, mais ce n'est pas une découverte. Avec Gaby Bizien, responsable du Pôle Domaine Musiques en Région Nord Pas de Calais on change de ton. Ho Gaby montre nous le nord ! Pour l'ancien musicien de rock, de jazz, de variété, c'est jouer d'abord, apprendre ensuite, "On peu avoir une conception ludique du travail, apprendre à apprendre, donner les moyensÉ, on est bien dans les préoccupations sociales, culturelles, le lien à l'économique est bien là, il ne faut pas l'oublierÉ " Bien sur comme ailleurs les rappers posent un problème par leur pratique de diffusion parallèle de leurs CD, hors des règles préétablies, idem pour les cours particuliers au black auprès de musiciens de renons dans la cité où le quartier, sans parler des repiquages de disquesÉ Que faire ? Bizien opte plus pour la formation continue, projets de parcours musical et non pas de pédagogie de l'apprentissage. " Les demandes de technique viennent aprèsÉ " Evidemment la recherche d'identité est incontournable et abordée souvent de façon confuse du style "Dans identité il y a identique ", ce qui ajoute encore un plus au mythe du modèle, Mc Solar, Clapton où l'avant centre de l'OM. Aujourd'hui, tout le monde baigne, du rap au métal, dans une culture commune qui n'est pas forcément que musicale, l'institution a une grosse responsabilité dans l'exclusion d'une population qui par-là même s'organise et invente une pratique qui à son tour exclue (voir le verlan dans le rap).

Les derniers intervenants de ce premier jour de colloque, Philippe Berthelot, responsable l'ADEM/Florida d'Agen(47), complexe musical entièrement dédié aux musiques amplifiées et son collaborateur, Sébastien Durup, missionné sur une regroupement de communes en Lot et Garonne, font part de leurs expériences étiquetées pour la circonstance "Attentes et réponses en milieu rural ".

Pris en sandwich entre la communauté des communes et Le Florida, Durup se débat avec beaucoup de bonne volontée, "0n ne veut pas parachuter des grosses machines dans les villages, mais faire de la sensibilisation, auprès de la population, par des écoutes de CD en amont, des rencontres, afin de préparer ce qui va arriverÉ Il faut sans cesse casser les tabous en milieu ruralÉ " Là aussi on nage en pleine confusion. Arrêtons d'opposer le milieu rural, donc les villages, avec les villes qui bien sur auraient la science à diffuser et la condescendance d'aller "cultiver " ces pauvres ruraux, pour ne plus dire "ploucs " à la pratiques des musiques actuelles. Croire que la campagne est un désert culturel c'est faire preuve d'une grande ignorance de toutes la richesse des folklores bien présents malgré de longs siècles d'étouffement par le centralisme français. " C'est dans le folklore de la Gascogne que Bladé à trouvé "la Reine châtiée ", c'est incomparable chef-d'Ïuvre qui paraît avoir donné à Shakespeare l'idée d'Hamlet. " (1)

Cinq ans à la tête du Florida, avec tous les enjeux politico-culturels comme épée de la Dame aux cleps, ça vous tue où vous transforme. Berthelot est bien lucide sur sa mission autour des "musiques amplifiées ", concept pas si bête que ça finalement, d'ailleurs les salves envoyées par la direction de l'UMJ étaient très maladroite, Touché mais pas coulé. Donc comme beaucoup de ses collègues, le dirlo d'Agen est entravé par la prédominance du politique, confronté au problème d'idéologie musicale. " Arrêtons d'adouber qui le hip hop, qui la techno, arrêtons d'opposer social et artistiqueÉ Je revendique l'éducation populaire. Au Florida on a deux entrées, collective et individuelleÉ " Comme Gaby, Philippe joue la formation continue, "La diffusion ne doit pas être une fin en sois pour les pédagogues et les institutions, le sens critique doit être présentÉ " Sur sa cadièra, Metz acquiesçait du cap.

18h.Sous le cloître, le Floc de Gasconha nous attend au bar où le débats continue. Méziat viens d'arriver, Radio France Landes a installé son studio mobile, Duthil converse amb Angélique Ionatos, parle de "vraie culture ", laissant croire aux auditeurs qu'il y en auraient de faussesÉ Le public est là, l'église est pleine pour le concert de 19h avec Aldo Romano et son ensemble  Intervista. En lever de rideau, Jo Corbeau, grand tchacheur marseillais devant l'Olympique, pionnier du reggae aiolisé, fait monter la sauce en un tour de main. Il est le Fil rouge du festival, "Reste coolÉ rien ne bougeÉ ", Babylone et Babel se disputent la déchirure. Oc Corbeau arrête le babybel, revient aux fermentsÉ, vives les cabécous.

Donc Intervista s'attaque au jazz FM convenable, musique d'un film, "Ce soir à St Sever ". La Chapelle des Jacobins est une belle nef, dans l'état, qui n'a pas encore subit de lifting, les ouvertures obstruées avec du plastique agricole noir renvoient la lumière, la matière s'éclaire, on dirait un Soulage. Sur scène, Di Batista lyrique à l'alto s'amuse ; Aldo, drumer sans heurt est au commande, Benita (cb) se met au service. L'éclairagiste a aimé Corbeau, il me parle du concert de Pétrucciani, hier soir, "C'était bien mais les gens applaudissent trop sur les morceaux, on dirait qu'ils applaudissent que la performanceÉ " Hé, comme à Marciac ! Le film déroule une balade en soprano, un crescendo aux embruns très latinos d'essence, jusqu'au folklore. Au piano, invitée du trio, Rita Marcotulli s'autorise, pousse, entretient la voix chaotique, croise, le bop bipe encore, why not ? Puis le trioriginal repart sur l'air de la Cocaracha, arrangé made in Romano, la festa ! " Ca me va comme jazz pour la rentrée d'automneÉ " Metz es d'intrar de l'ostal, "C'est OK, les clefs sont sous le paillasson, en plus c'est eux qui font la bouffe iciÉ " Aldo à le sourire, c'est bon signe.

Repas sous le Cloître et grande discussion avec Jo Corbeau et les pompiers de service. Les échos du chant de Ionatos au loin, Jo maintient le débit de sa tchache, emboucane le chef pour que demain il y est un aïoli pour l'apéro, en tant que Fil rouge, on ne peu rien lui refuser. Bon sur le coup, j'ai loupé le trio Crispell, Paecock, Motian, un très beau concert dixit l'ami Layrac.

 

Samedi 5 septembre

Comme prévu l'aïoli est sur la table avec le Floc et le Pastis. Jo Corbeau sort sa gratte et fait chanter "j'aime l'OM " en pays Girondin, bien qu'ici on soit plus rugby. L'ambiance monte, le ciel pleut encore mais la météo est formelle, aucun risque pour ce soir. Ahmed, journaliste à L'Affiche y va de son "a vava inou va ", Christophe de l'A.F.P. parle ballon avec Jo, Lensois, ils ont des buts à se dire. Les intervenants du colloque de tout à l'heure arrivent, Stéphane, Ferdinand, Bruno, Bob et les autres, le film continue. A la table du fond, la presse de Paris met Johnny à son répertoire, "que je t'aime, que je t'aimeÉ ", c'est vrai qu'hier soir au Stade de FranceÉ

Avec une demi-heure de retard et toujours pas trop de monde s'ouvre le colloque de cet après midi : "Musiques actuelles, un cadre pour les pratiques amateurs ". Et on replonge dans les affres thérapeutiques du sacro saint socio-cul, renforcées à outrance par cette citoyenneté que tout le monde met en préambule à la moindre prise de parole.

Ferdinand "Mimi " Richard de Marseille, un des quelques quinze producteurs travaillant sur la friche de la Belle de mai, fait son état des lieux :  "On tâtonne mais on fait, on propose des studios de répétition gratuits sur projets, pas de permanents chez nous, mais la permanenceÉ ". Evidemment les ateliers de scratch, sample, écriture rap, guitare flamenca boulèguent à fond, la rentabilité de la culture est en train de reprendre des forces. "Moi je ne fait pas du socialÉ, je suis plutôt une passerelle pour repérer les bons talentsÉ ". Bon, c'est une pratique qui a court aussi dans le sport, et il y en eu quand Jo Corbeau ramena sa gouaille sur l'historique de la venue de Ferdinand à Marseille. Il en profita pour lui demander officiellement quatre semaines de studio pour son projet de disque.

Bruno Boutleux, directeur du FCM, fait part du travail effectué pour moraliser le milieu, "La chasse au travail au blackÉ ". Dans quel cadre doit on mettre les musiciens amateurs, jusqu'où est on ou n'est on plus amateur ?

Stéphane Le Sagère, Directeur de la FNEJ, apporte sa réponse : "La loi est claire, dès qu'il y a des revenus d'artistes, on est professionnel. La citoyenneté c'est de ne pas faire de la concurrence déloyale à ses concitoyens professionnelsÉ ". C'est sans appel. Déjà que les troupes, c'est le terme, amateurs ne sont pas légions ! Il est loin le temps des harmonies, fanfares, orphéons, la pratique populaire à changée de registre, aujourd'hui elle fait du sport, vaste problème que l'on ne peu pas évacuer derrière une loi. Fabien Olmiccia, responsable de l'Adam 40, est dans la panade, comment va-t-il s'y prendre pour expliquer à tous les musiciens de Bandas, et ils sont nombreux, qu'il va falloir qu'ils choisissentÉ

Bob Revel, Inspecteur à la musique au Ministère, parle de la formation des formateurs. " Apprendre est une chose, enseigner en est une autreÉ ". "Le talent musical n'est pas qu'une affaire de don ". Formation, formateur, donner des formes, même s'il y a le danger du moule. " Il n'y a pas encore de loi cadre dans la musique comme on le trouve dans la danse où pour enseigner il faut un diplômeÉ ". Alors qui intervient ? Les C.A. et les D.E. seraient là "Pour éviter les dérives de l'élu qui place son copain à tel poste É ". De la passerelle on arrive au mirador, c'est du délire mais de l'officiel, et même si au FCM on est "Désolé qu'on se préoccupe de la formation des formateurs qui vont former les musiciens ", la machine à uniformiser semble bien en place. Il ne restent qu'aux musiciens amateurs de se regrouper, ça fera une nouvelle lutte des glaces et qui sait, éclater les cadresÉ

Voilà, la météo a vu juste, le diner-concert en plein air de ce soir aura bien lieu au cloître. Avant de passer à table, à la Chapelle Jo Corbeau déroule son fil et Jean Mouchès reçoit une très grande ovation. Un sacré personnage, humeur, humour, humain, raconteur de chansons, enchanteur, cynique, épique, Mouchès fait mouche. Tango, java, ragga, swing, bleus au fil de l'eau au son du soufflet de l'accordéon de Michel Macia, tout est bon chez ce landais qui en plus met de l'Oc dans l'Oil de ses textes. De la très bonne variété française !

Entre lo fedge de canard frais poêlé et le gâteau au chocolat encerclé de crème anglaise, Mah Damba nous fait entendre un aperçu de son folklore mandingue. Chants de circonstances, bleus rural, improvisations, héritière de la pratique du chant Banaman, tout ce qui donnera le jazz est là, brut, sans paillettes mais avec apparats. Royale ! Café, l'incontournable Armagnac et Lisa Ekdahl.  Lolita  suédoise chantant le jazz, nous la laissons à ses standards, et rentrons à Tolosa. Au fait ! Le thème choisi cette année était Sensualité, mais ça vous l'aviez saisi très viteÉ

 

 

(1)Antonin Perbosc

"Manifestes Occitans " éd Mostra/Cap e Cap

 

Jacme Gaudàs

Retour

© Transmediadoc