Jacques Di Donato
Du jazz au classique, de l'opéra au contemporain; Jacques Di Donato dispense ses musiques sur toutes les scènes d'Europe. L'homme aux clarinettes est d'une grande lucidité, installé à l'arrière de cette voiture qui nous ramène à Toulouse dans le brouillard. Il accepte de faire l'itinéraire à l'envers, le bal, le jazz, l'enseignement, la presse spécialisée, le regard critique, l'envie de construire.
Jazz Hot : Dans "Chiens méchants", la création de Philippe Deschepper présentée à "Jazz sur son 31", tu joues de la batterie, c'est, paraît-il, ton premier instrument ?
Jacques Di Donato :
Oui, j'ai commencé en autodidacte. J'avais 12 ans, en tapant sur
les casseroles ou sur les chaises à la maison en écoutant les
disques. Après, j'ai pu concrétiser tout ça, tous les week-end
dans l'orchestre de bal de mon père. C'était dans la région de
Béziers, c'était la bonne époque; tu avais les fêtes votives,
ça durait trois, quatre jours, pour moi c'était extraordinaire.
Je pouvais sortir de l'école pour aller faire la fête. Après
mon père a décrété que, finalement, la batterie n'était pas
un vrai instrument et qu'il fallait en apprendre un autre pour
aller plus loin. Il m'a donné une clarinette et un saxo. J'en
jouais dans son orchestre, après j'ai commencé des études
beaucoup plus sérieuse à l'école de musique à Béziers,
ensuite au Conservatoire National de Montpellier, à Versailles
et enfin au Conservatoire Supérieur de Paris où j'ai rencontré
d'ailleurs Bernard Lubat. Avec lui, on a commencé à jouer, à
faire des boeufs dans les classes, jusqu'au moment où on est
rentré dans le métier, surtout le métier de studio à
l'époque. Studio, télévision, théâtre, cabaret... ah!
c'était prolifique... Voilà un parcours traditionnel, des
rencontres : Jeff Wilson pour les premiers orchestres de jazz,
puis Yvan Julien, Jean-Claude Maude, Martial Solal, Sonny Gray ,
etc... On allait jouer dans tous les grands orchestres qui se
créaient. Après, je suis resté dix ans comme soliste au nouvel
orchestre philharmonique de Radio France. Après ma démission,
je me suis dirigé vers la pédagogie où j'enseigne au
Conservatoire National Supérieur de Lyon et de Ville díAuray.
J'ai monté le quatuor de saxophones, le trio de clarinettes, des
formations par ci par là mais qui n'avait pas grand
intérêt jusqu'au moment ou j'ai fait le quintet Jacques Di
Donato avec lequel j'ai fait un disque : "Clic".
Je suis assez content de cet enregistrement et de ce groupe...
Et puis , plus près de nous, je viens de faire mes premières
réapparitions à la batterie dans le trio de Philippe
Deschepper, avec Christine Wodrascka au piano et dans le
quartet "Mhere" avec Xavier Charles, Fabrice Charles,
Louis Michel Marion.
Alors, tu te ballades du jazz à la musique contemporaine, tu joues aussi dans des formations de répertoire classique, tu te sens à l'aise aussi bien sur l'une que sur l'autre...
Oui, pareil. Par moment, ça demande un travail spécifique, quand je joue dans des concerts classiques, ca me demande un travail de remise en forme sur l'instrument mais j'y suis habitué, c'est plus vraiment un problème.
Il y a des chefs d'orchestre, Michel Plasson pour ne pas le nommer, qui interdisent à leurs musiciens de faire du jazz sous prétexte que ça déforme. Quel est ton avis là-dessus ?
Ca déforme surtout de ne rien faire.. S'il faut suivre la déformation d'un chef d'orchestre pour soi-disant pas se déformer, cíest grave. Non, c'est pas le nombril du monde un chef d'orchestre. On peut faire ce qu'on veut, si derrière l'instrument il y a quelqu'un d'intéressant, ça ne le déforme pas plus qu'autre chose. Ce sont des arguments imbéciles, c'est stupide. Tu peux le dire. Toute ma vie j'ai improvisé, j'ai joué des concerts avec orchestre, j'ai joué philharmonique, j'ai été à líopéra, j'ai fait de la musique classique, contemporaine, et je suis toujours là...
Quels sont tes rapports avec la musique jazz américaine ?
Actuellement, on peut considérer que c'est le folklore; c'est
comme le musique classique, Beethoven et compagnie, c'est
derrière nous. On ne peut pas vivre éternellement avec cette
histoire. Il faut quand même réagir. C'est vrai, à une époque
on a été là-dedans... influencés... on le vivait. Dans les
années 60, on jouait, on vivait avec cette musique mais je ne
vais quand même pas m'interdire la suite à cause de ça; c'est
terminé pour moi. Alors ça m'arrive d'en écouter. J'écoute
les gens qui l'ont faite, qui l'ont créée. Le reste ne reste
que de pâles copies franchement inintéressantes pour moi, si
c'est pour entendre une copie bancale, quel intérêt...
J'ai plus qu'une impression, qui se vérifie, que beaucoup de musiciens de l'Europe de l'est, de l'ancien bloc soviétique débarquent sur les chantiers avec pas mal díarguments au niveau de leurs influences. Ton avis ?
Ca fait longtemps qu'ils sont là. Il faut bien savoir qu'il y a une base de folklore, d'histoires populaires dans leur musique qui est très marquée, qui fait partie d'un terroir comme nous, nous avons le nôtre. Ils l'expriment avec force, c'est normal, c'est leur quotidien au même titre que nous, à un moment donné, il va bien falloir exprimer le nôtre, et pas toujours subir les influences de la grande Amérique...
Ca pose le problème de la reconquête de nôtre, nos folklores. Ils sont quand même assez méconnus en France, les musiques folkloriques ont longtemps été remisées au placard, presque à la honte...
C'est vrai que la musique folklorique a toujours été péjorative pour certains, mais bon, moi, j'en ai toujours fait, finalement. Quand on a fait le bal populaire pendant des années, qu'on s'y soit frotté, qu'elle soit du tango, du typique, du paso , jusqu'à la chanson de variété, c'est bien ancré en moi. C'est mon histoire et maintenant j'arrive à l'exprimer davantage avec d'autres influences, ou alors je la gère mieux? Je sais pas comment dire...
Di Donato, c'est d'origine italienne. De quelle Italie exactement ?
C'est l'Italie de l'Adriatique, province Di Foggia. Tout en haut, à droite de la botte.
Tu connais le folklore de là-bas?
Pas trop. Je n'y ai jamais vécu. Dès que mon père est arrivé en France, il s'est mis dans la variété de la France; donc je níai pas connu tout ce qu'il peut y avoir là-bas, à part Nino Rota... En fait, c'est avec Marc Perrone que j'ai appris tout ça.
Que penses tu de la presse spécialisée en France ?
Au niveau journalistique, il y a un travail important à faire. Si, de temps en temps, tout ce qui est média essayait de savoir qui sont les musiciens qui vivent dans le pays et qui s'expriment, qui meurent de ne pas exister, ça aiderait bien.
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