Rencontre avec

DUPAIN !

DUPAIN

La dernière merveille de la scène musicale marseillaise occitane. Respectueux du patrimoine culturel oral, avide de nouvelles technologies, de nouvelles sonorités, Dupain brasse les rythmes folkloriques du bassin méditerranéen (Provence, Italie, Espagne, Maghreb), rythmiques binaires, instruments typiques et machines d'aujourd'hui. Avec Massilia Sound System et son Dub à l'Aïoli, Gacha Empega et ses nouvelles polyphonies occitanes, Dupain et sa Tradinovation provençale, la cité de l'OM se rebelotte une trilogie gagnante. Brelan d'AS.

Samuel de Agostini : J'ai commencé la batterie à l'âge de huit ans, j'ai appris sur les disques à la maison... Cela a duré jusqu'à dix sept ans puis j'ai joué du jazz jusqu'à vingt cinq. Après je suis arrivé à Marseille. J'ai joué cinq ans avec Léda Atomika, puis après un petit passage sans trop de musique, pendant deux ans, et j'ai rencontré Dupain.

Tu es originaire d'où ?

Samuel : Je suis des Alpes, du pais Gavot, à quinze kilomètres de Gap, un petit village, La Roche des Arnauds, 600 habitants...

Et toi ? Pierre Laurent Bertolino : Moi cela ne fait pas très longtemps que je fais de la musique. En fait j'ai commencé à travailler sur des machines, boite à rythme, ordinateur, synthé, séquenceur. Au départ je travaillais seul chez moi. J'ai découvert la vielle à roue, cela fait trois ans, j'ai commencé à mêler les deux et après j'ai rencontré Sam...

Sam Karpénia : En fait moi j'ai joué de la guitare électrique de 89à 94 avec Kanjar'Oc. Après il y a eu un moment de flou où je ne savais pas trop quoi faire alors on a plus ou moins travaillé avec Pierre Laurent, à cette époque, et on a monté Dupain. Il y avait un guitariste, moi je faisais de la percussion, lui des claviers. On jouait des morceaux un peu expérimentaux, des boulettes, cela ne durait jamais plus d'une minute... On a commencé à faire deux concerts, comme cela, sous cette formule et après j'ai découvert l'Occitanie, ce qui fait que cela a tout changé. Ça m'a fait pété un boulon. Là on a arrêté de travailler ensemble. J'ai découvert Manu et Barbara qui chantaient ensemble des chansons de la Méditerranée, on s'est capté et je leur ai dit : " Si je chante c'est uniquement en provençal..." J'avais commencé à apprendre le provençal à Port de Bouc, chez une voisine, par l'intermédiaire de Jean Marie Carlotti, et c'est là où en fait, je pense que d'une conception individuelle de la musique on est passé à quelque chose de collectif. C'est cela qui est important dans le fait qu'il y est une dimension occitane dans ce que nous faisons, dans notre parcours musical à tous. A un moment donné tu ne fais plus de la musique pour toi mais dans un truc un peu constructif, qui apporte une pierre à l'édifice...

SamTu pense que c'est le fait d'avoir rencontré l'Occitanie qui t'a éveillé cela ?

Sam :
Disons que l'Occitanie c'est une clef. Les questions on se les posait depuis toujours. Il y a quelqu'un qui disait : "La bête elle est de partout, il n'y a pas que le centralisme parisien..." Tout le monde a conscience qu'il y a quelque chose à changer... L'Occitanie c'est un peu un outil pour arrivée à envisager une vision du monde plus sympathique...

Et vous, comment s'est faite cette rencontre avec l'Occitanie ?

Pierre Laurent
: Cela c'est fait en même temps que Sam, elle était présente mais je n'en avais pas complètement conscience...

Samuel : Moi j'ai les souvenir des bourrées. On en jouait beaucoup dans mon village, quelques anciens... Puis je l'ai découverte quand que je travaillais en studio. Un jour j'ai enregistré Pierre Laurent et Sam et là, à la fin de la session, cela a duré une journée, je leur ai dit : "Bon les gars, si vous cherchez un batteur..." Voilà, cela s'est fait par le chant, la voix surtout m'a fortement attirée et je découvre petit à petit l'histoire...

Sam : Il y a trois, quatre ans de cela, il y a eu sur Marseille une explosion du mouvement occitan. Tout le monde s'est connecté. Il y a eu Gacha Empega, on s'est rencontré avec Massilia Sound System, des choses se sont faites avec Claude Sicre... Pierre Laurent a toujours été présent dans ce mouvement...

Alors parlez nous du répertoire de Dupain. Le fait de puiser dans des textes issus du milieu ouvrier de la fin du 19ème siècle n'est pas un choix innocent...

Sam
: C'est un sujet qui me tient à coeur. Je suis de Port de Bouc, ville ouvrière, après ce sont des histoires personnelles. Mon père travaillait là dedans et tous les gens que je fréquente sur Port de Bouc sont des gens qui sont confronté au problème du travail, donc du chômage... Moi j'ai fait des manifs j'avais huit ans. Je portais une banderole... C'est un truc naturel chez moi, j'ai grandi dans toutes ces luttes où il y avait une solidarité, les ouvriers qui refaisaient le monde, il y avait toute une fierté d'être ouvrier. Plus tard, de dix huit à vingt cinq ans, j'ai travaillé à l'usine et tout ça je ne l'ai pas retrouvé, cette solidarité, toutes ces choses là... Cela vient du fait qu'ils sous-traitent vachement. Tu n'as que des petites équipes qui changent, il y a de l'intérim, il y a rien de constructif... Voilà, il y a un petit peu une idée de redonner du baume au coeur à tous ces gens qui travaillaient en usine, qui n'ont peut-être pas la parole ou qui la prennent de moins en moins. En même temps il y a tout le côté revendicatif des textes du dix neuvième des marseillais mais aussi tout l'univers un peu fantasmagorique de l'usine, la sidérurgie, la métallurgie... Quand j'y ai travaillé, cela a été très fort pour moi... Pierre Laurent

Pierre Laurent : Il y a aussi le fait que c'est un répertoire de chansons qui n'a pas de musique attitrée. A l'époque, les gens qui écrivaient des textes et ils les chantaient sur des airs à la mode. Cela aussi colle avec ce que l'on fait, que des compositions, donc c'est bien, c'est un retour des choses...

Au niveau compositions, vous puisez dans quels folklores ?

Pierre Laurent
: C'est difficile à dire...

Sam : Je crois que nous sommes bien conscients d'une chose, nous sommes en Méditerranée et musicalement tout ce qui nous touche ce sont quand même toutes ces musiques, qu'elles soient de Naples, du sud de l'Italie dans les Pouilles, j'aime aussi beaucoup le flamenco... Alors on va essayer de faire une jonction musicale, peut-être, entre l'Italie et l'Espagne... Bon il y a aussi le Maghreb qui est présent, et le fait d'être à Marseille, qui est quand même un port, il y a là une chose qui est unique, toute une profusion de cultures, de musiques, un vivier incroyable... On ne s'est pas inventé du jour au lendemain une identité méditerranéenne, c'est en nous, on l'est, on a bien conscience de cela. Après dans cette Méditerranée, on fait une musique occitane de Marseille.

Pierre Laurent : Au niveau des folklores, on reprend des choses précises, peut-être parfois des rythmes, des morceaux, la musique on la fait à notre manière, avec une partie d'invention bien sûr...

En plus avec l'apport de l'électronique... Cela aussi, dans le milieu de la musique ça n'a pas été facile de faire accepter que quelqu'un qui joue du sample est un instrumentiste au même titre qu'un joueur de sax ou de cabrèta ... Sam : En fait au départ, quand on a commencé avec Pierre Laurent, on jouait acoustique. Bon, on était que deux, et une vielle à roue et un tambourin ce n'est pas facile...

Pierre Laurent : ... les machines sont revenues naturellement...

Sam : ... à un moment donné on s'est dit on va prendre un troisième musicien. On a pris le séquenceur et puis maintenant on a beaucoup travaillé dessus... Au départ tu es coincé par le rythme, le tempo, du début à la fin c'est le même et le tout c'est d'arriver là dessus à être le plus à l'aise possible pour faire vibrer le morceau dans l'intensité... Ce n'est pas facile mais je crois qu'on y arrive...

C'est quelque chose que vous travaillez tous les trois ensemble ?Samuel

Sam : Oui, on répète beaucoup, quasiment tous les jours de la semaine... On travaille, on cherche, Samuel est allé au Maroc, donc il rapporte un peu des rythmes, à Naples on a senti des trucs... Cela vient comme ça, après le but du jeu ce n'est pas de prendre un rythme, on va dire marocain et d'y coller une mélodie italienne, consciemment ce n'est pas cela qu'on fait. Peut-être qu'on va partir d'une base de tamolietta napolitaine, à la fin c'est plus une tamolietta. Après on intègre et digère avec notre vécu à nous... Pendant des années on a écouté du trash, du rock, du reggae et cela on ne peut pas du jour au lendemain se dire on le refuse...

Ce n'est pas qu'on ne peu pas, c'est qu'il ne faut pas...

Samuel : Non non, il ne faut pas virer toute la musique anglo-saxonne qui est arrivée pendant des années, c'est clair, cela fait trente ans qu'on l'écoute...

Sam : C'est une synthèse de tout cela qu'on est entrain de faire, une vraie synthèse et une création originale. Ce n'est pas du collage.

Cela fait combien de temps que Dupain nouvelle formule tourne et combien de concerts ?

Samuel
: C'est l'anniversaire depuis quelques jours... On a du faire une quarantaine de concerts...

Sam : On est allé jouer, c'était vachement important, où on est sorti grandi, à Lecce, dans le Salento, dans le talon de la botte. Là on a des collègues qui ont un peu la même démarche, qui font de la piccica, de la musique traditionnelle mais c'est différent parce qu'ils ont un folklore vivant, donc ça existe, ça marche. A côté ils ont une démarche pour sortir de là aussi, parce qu'ils sont coincés là dedans. Donc ils ont mis une basse, une batterie et ils avancent comme cela. Ils ont même repris un morceau de Gacha Empega "En gambi", ils chantent à leur façon, c'est très important. Nous avons joué aussi à Rome, pour la Biennale des Jeunes Créateurs, nous étions contents de représenter Marseille mais après sur place cela ne nous a pas apporté grand chose.

Là sur Marseille, où il y a déjà, on pourrait dire un cercle qui est bien en place, Massilia, Jo Corbeau, les Nux Vomica, Patric Vaillant à Nice, Carlotti à Arles, vous arrivez, ce qui est bien, à un moment ou une jonction est en train de se faire avec Daniel Loddo, le père Cabrel qui commence à tendre l'oreille, c'est quand même assez extraordinaire ce qui se passe... Carlotti me semble important pour votre histoire...

Sam : Lui c'est déjà un musicien dans l'âme et un instrumentiste aussi. Musicalement je pense qu'on doit écouter beaucoup de choses en commun. Une fois je l'avais interviewé au téléphone, il m'avait parlé de pleins de choses, il m'avait encouragé à chanter. Je n'avais jamais chanté, puis j'ai découvert l'occitan et je m'y suis mis. C'est vrai que c'est bien d'être en contact avec lui. C'est un des premiers à qui nous avons filé la cassette, ça lui a plu, c'est avec lui que nous avons fait notre premier concert, pour l'histoire c'est pas mal aussi, c'était dans une ville ouvrière, à Berre l'Etang... Il est plus provençaliste dans sa démarche, lui c'est la musique provençale. Nous c'est différent, Marseille c'est encore quelque chose à part en Provence, nous c'est plus une musique marseillaise. Si nous étions à Manosque nous ferions autre chose.

La suite ? Travail, répétitions...

Sam : Oui, répéter c'est très important. Nous sommes musiciens, nous avons du plaisir à jouer, quand nous jouons bien il y a quelque chose qui se passe, nous sortons de là, pfffouueueu....

Et les festivals, les lieux où vous avez joué... Je reste persuadé, c'est un pari que j'ai envie de lancer aussi, la musique que vous êtes en train d'élaborer, qui est engésine, elle passera dans les festivals qui traitent de musiques folkloriques, du Monde mais également dans les festivals de musiques contemporaines, de scène à la pointe, du style Mulhouse, Mhère et d'autres notamment en Allemagne, en Scandinavie...

Sam
: Cet été nous avons fait le Festival des Suds, un festival de musique du Monde où nous avons joué en première partie de André Govic, deux semaines après nous étions au Festival des Musiques Innovatrices, Festival Mimi, le Festival et Rencontres de Germ Louron... Cela illustre bien ce que nous faisons. D'un côté c'est aussi de la musique du Monde, on va dire, et en même temps c'est aussi de la recherche, musique "expérimentale"...

Il y a ce côté métallique du son, dans le sens de l'usinage, que j'entends chez vous, notamment dans tout le côté du travail de la vielle. Samuel qui martèle, quand je dis martèle c'est dans la façon des artisans qui façonnent la matière, on entend qu'il a écouté les bourrées...

Samuel : Je comprends ce que tu veux dire... En tout cas ça mettait le feu...

Sam : Il y a un principe dans ce que l'on fait. Il y a une séquence qui part du début du morceau, c'est toujours la même. C'est un principe que l'on retrouve dans toutes les musiques traditionnelles, c'est toujours la même boucle qui tourne... En même temps cela peut-être aussi, pourquoi pas, le rythme obsessionnel des machines à l'usine. C'est un peu les deux, d'un côté l'usine et la musique traditionnelle qui est là depuis des siècles...

En fait vous faites de la musique d'usine... Vous pourriez jouer dans une cathédrale, dans une carrière...

Sam : Cathédrale non, il y a trop de réverbe et surtout on n'en a pas envie, une carrière oui... On a aussi fait des sardinades, des fêtes... A Lecce on a joué dans un endroit, une cour intérieure, où ils ne font que de la piccica, de la musique acoustique. On s'est retrouve là dedans et ça a été le feu. Si cela marche à Lecce, l'idée de la Méditerranée que l'on se fait elle se vérifie. On n'a pas encore fait l'Espagne, mais cela va venir. C'est très important de sentir que les gens captent ce que l'on fait. Bon, si nous montons plus haut, dans le Nord, nous serons plus en situation de spectacle, ce sont d'autres choses qui vont leur parler... Je pense qu'ils ne le ressentiront pas comme les latins...

Cela dit, c'est intéressant qu'ils le rencontrent... DUPAIN

Sam : Oui, nous sommes prêts à faire le tour de Monde, les Japonais... Après je ne sais pas, c'est important qu'il y est un retour pour nous...

Vous avez rencontrez Daniel Loddo ?

Sam : Je l'ai un peu rencontré sur le plateau occitan, à la création à Castres. Là j'ai refais une gâche avec Gacha Empega cet été, où j'ai remplacé Nico. J'ai écouté ce qu'il fait ainsi que le dernier album remixé par les Massilia... Il a fait un morceau de ragga, il a dit aux Massilia : " Vous allez me faire un ragga bien à la Massilia etc...". Moi je crois que ce n'est pas ça qu'il faut faire, je pense que, surtout sur un disque, et même dans une démarche artistique, à mon avis il faut essayer de trouver... S'il a envie de son dub, qu'il le travaille comme nous, c'est à dire de l'intégrer plutôt que de s'éparpiller... Je me demande pourquoi il le fait ? Si c'est pour dire qu'il peut le faire où pour toucher un public plus grand... Je ne sais pas...

Il faut qu'il sorte de sa Cordae, il s'est construit une sacrée tour d'ivoire...

Sam : Oui, c'est comme nous avec Gacha Empega, on fait de la polyphonie et c'était bien que Massilia fasse le mix, qu'ils mettent pleins de sons, qu'ils intègrent des trucs, cela donne une autre dimension, c'est peut-être plus facile à l'écoute pour des gens qui sont un peu loin de ça.

Samuel : Il a raison. Sam : De temps en temps on parle, on réfléchit, on est toujours dans ces tas de trucs, on est sur de rien, on travaille, on est plus dans l'action. D'ailleurs on ne s'attendait pas à un tel succès... (rires).

Propos recueillis par Jacme Gaudàs
Photo : © Arnaud Mecier - elixistudio

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