Kifkif Production, estampillé NM (Norme Marseille certifiée conforme) produit la musique rap faite dans la cité phocéenne. Crée par Imhotep, l'Architecte musical d'IAM, ce label, a pour but de promouvoir Marseille et tous les jeunes talents cachés qui y habitent. A l'occasion de la sortie du CD "Chroniques de Mars" et du vinyle "America" nous avons rencontré Kepdany et Ali Kalai, en virée promotionnelle à Toulouse. Étaient présent François Bacabe et Jean Paul Becvort responsables du secteur Musica à l'Institut d'Estudis Occitans.
Kifkif, IAM, le rap, Marseille, ça nous intéresse because nous, mouvement Linha Imaginòt, occitaniste, on est très lié à Marseille par Massilia Sound System, groupe plus ragga muffin. Au niveau rap, mis à part les essais d'Ange B. avec "Bouducon Production", il nous manque des éléments. Vous avez des contacts avec Massilia?
Ali Kali: Je dirai que nous sommes tous liés dans le même cercle. Je vois Pascal (Imhotep) par exemple, il a déjà travaillé avec Massilia, alors je sais pas si c'est pour leur faire des musiques ou leur rendre service, mais je sais qu'on est tous une famille là-bas.
Tu peux peut être nous donner quelques précisions...
Kepdany: Oui, disons d'abord que nous on est pas IAM même si un membre d'IAM est dedans. Imhotep a pris quelques gens qui viennent faire des fiturings sur ses instrus ou qui font eux même les leurs et a monté une production derrière. Sinon le lien avec Massilia est dans le fait que c'est les mêmes gens qui vont écouter la musique...
Ali Kalai: Il faut pas oublier qu'on se connaît depuis très longtemps. Nous, Marseillais, on aime l'authenticité, notre but aujourd'hui c'est de réussir tous ensemble. Il y a chez nous, c'est surtout ça la question, des gens qui ont des talents magnifiques et qui peuvent aller très loin. Le but de Kikif c'est ça, donner à ces gens la chance d'aller de l'avant dans leur vie, et surtout développer un maximum pour que Marseille s'affiche un peu. Faut voir comme on parle de nous, c'est pas vrai, nous on est très accueillant, on est très chaleureux et surtout très très très humains. A Marseille il n'y a que des jeunes qui demandent qu'à réussir et c'est pas tout le monde qui leur donne les moyens. Ce que fait Pascal est beau, c'est l'action, elle me plaît beaucoup, c'est aller et faire aller les autres de l'avant. C'est magnifique de donner tout ce qu'on a pour faire découvrir des talents.
Alors ces "Chroniques de Mars", que peut on en dire?
Kepdany: C'est un album où l'on retrouve des jeunes groupes marseillais qui sont en train de monter ou qui sont déjà implantés à part entière, qui font du rap et surtout qui essayent de donner des messages. Le hip hop marseillais est quand même de plus en plus consciencieux, les jeunes qui rappent sortent de le rue, c'est dur dans la rue, tu l'entends mieux dans les paroles de ces jeunes là que dans les paroles d'un autre mec qui habite dans sa maison en verre.
Qui retrouve-t-on sur ce disque?
Kepdany: Kifkif Imhotep pour les instrus, Akhenaton a fait un morceau avec Daf Bond, un ancien du Soul Swing, Boss, Manby Oua du 3e Ïil; il y a aussi Shurik'n et son frère Faf Larage avec"La garde, meurt mais ne se rend pas" le premier morceau qu'ils font ensemble, un titre qui passe beaucoup en ce moment. C'est un morceau qui se projette dans le passé, au temps des chevaliers, ils ont chacun une arme, l'un une épée et l'autre un catana et ils combattent les fachos. En fait c'est ce qui se passent aujourd'hui à Marseille aussi. Dans ce label on essaye de protéger une certaine qualité, chacun des morceaux est traité au même niveau, ça part sur pleins de thèmes différents et dans tous les sens pour rejoindre les "Chroniques de Mars". Comme je disais, c' est l'auto-production qui a permis en fait à cet à cet album de sortir, Imhotep a envoyé la sauce en disant: " Je prend en charge et on va essayer de produire nos disques nous-mêmes, sans rien demander à personne"; donc on est parti d'une base, ses instrus et son son qui est très fort.
Un peu comme Massilia a fait avec Ròker Promocion?
Kepdany: Oui, un peu dans cet esprit là, sans rien demander à personne, sans subvention, on fait nous même notre promo...
C'est pour ça que vous êtes aujourd'hui à Toulouse...
Ali Kalai: Oui, on a pris le train il y a deux jours, on est arrivé à Bordeaux et là on a stické toute une journée, on est allé voir nos contacts..., on fait des villes tous les jours et aujourd'hui on est sur Toulouse.
Toi Ali tu as une histoire avec Toulouse...
Ali Kalai: Disons que j'y ai un petit peu habité. Mes parents sont venus vivre ici parce que c'est une ville tranquille, ils peuvent prendre un bus sans bousculade, ils peuvent aller à la CAF faire un papier sans faire une queue d'une heure, c'est bien. Donc moi j'oublie pas mes parents, de temps en temps je viens leur rendre visite. C'est là que j'ai connu un petit peu les jeunes d'Arnaud Bernard et François (Bacabe) qui m'ont toujours appelé Marseillais Marseillais Marseillais... (rires).
Le fait d'avoir Imhotep avec vous est porteur et, c'est là que ça me parait fort, il y a de la production, du travail, donc de l'économique...
Kepdany: Ce qui est délirant dans l'histoire c'est qu'on s'est lâché... Il y a eu d'abord un morceau avec Faf Larage, le premier artiste signé chez Kifkif; Pascal avait un projet d'album instrumental, que de la batterie, pour les DJ, pour les sampling, et aussi un troisième projet, "Le Retour du Shit Squad", en référence au morceau du "Shit Squad" d'IAM dans l'album "Ombre et Lumière". Là, le délire était de prendre tous les rappers de Marseille, de les mettre sur un morceau et de parler du même sujet. Ca a donné "Le Retour du shit Squad", un morceau qui parle que de fumette pendant sept minutes et qui est sorti qu'en vinyl à 2000 exemplaires. Jamais c'est sorti en CD, c'est sur quelques mix stapes (pirates); il n'y a pas beaucoup de gens qui l'ont entendu en fait mais il y a beaucoup de gens qui l'ont chez eux, les vinyls c'est surtout les DJ qui les achètent. Donc sur cette opération on s'est dit, surtout Gilles et La Sad, qui sont à la base de l' Association "Le Squad", qui a collé à Kifkif, sont allés voir tous ces rappers pour enregistrer ces morceaux. Ils ont voulu le son, il fallait pas que le vinyl soit chier, on en reçoit beaucoup et souvent il n'y a pas le son. Alors ils sont allés à New York, ils ont pris Carlton Bat, un mec qui masterise au Hit Factory, le top du top, et le morceau est revenu de flamme. Ils ont aussi pressé là-bas, ce qui fait que le vinyl est de très très bonne qualité. Il n' y a que deux titres, ce qui laisse plus de place au sillon et donne une meilleure qualité au disque. Donc il y a sur une face le morceau plus une autre plage avec l'instrumental pour ceux qui veulent remixer ou prendre le micro dessus et sur l'autre face c'était le méga trip avec Freeman, Akhenaton et Laura Lucciano de la Funk Family. Sur le premier "Le Retour de Squad" tu as Freeman, Akhenaton, Imhotep qui fait les instrus, toute la Funk Family, Faf Larage, le 3e Îil, Karim Le Roi, ce qui fait beaucoup de gens.
Donc on avait ces vinyls et on a décidé de faire notre propre distribution. La Sad et Gilles ont pris une voiture, sont partis visiter tous les magasins qui vendent des vinyls, et ont proposé le disque en dépot-vente. Très vite il y a eu des recommandes, on s'est rendu compte qu'il y avait plus de DJ qu'on s'imaginait. Sur Marseille on a vendu une centaine de disques au départ, on hallucinait, jamais j'ai vu cent personnes qui ont eu des platines, parce qu'on se parle peu dans la rue...
Ca m'intéresse de revenir, de parler de cette action reliée avec le tissu social de la ville. Alors dans votre histoire avec Marseille, cette civilisation Occitane, avec ses Troubadours, qui a été captée très vite par Massilia, est ce que ça vous intéresse de regarder là dedans sachant que c'est une épopée et que tous les concepts d'IAM sont quand même des épopées.
Kepdany: Tout a fait. En fait on s'intéresse pas beaucoup, c'est vrais, à l'histoire de l'Occitanie parce que là où on est on la voit vraiment pas l'Occitanie. Les pots d'échappements et la crasse qu'il y a par terre, on voit pas l'occitanie, il n'y a pas un arbre à Marseille, je vois pas un jardin, je vois pas un parc, je vois pas où elle est l'Occitanie à Marseille...
L'Occitanie tu l'imagines comment pour ne pas la voir?
Kepdany: Je la vois verte, avec pleins de collines, comme ici aux alentours, même aux alentours de Marseille, pas très loin, mais il y a pas beaucoup de gens qui vont pas très loin à Marseille. Il y en a plein qui restent dans leur quartier, qui sont jamais allés à la campagne à côté.
En fait tu vois l'Occitanie comme un rapport à la campagne?
Kepdany: Tout à fait, voila...,
Jean Paul Becvort: Ce qu'il faut savoir, c'est que l'Occitanie ça a un siècle cette année et que l'Occitanie en gros, c'est un bras d'honneur à Paris, c'est ça qui est essentiel, un bras d'honneur à un centralisme délirant qui fait que nous on a envie de faire des choses au top, comme vous faites vous, qu'on a rien contre Paris mais on a pas envie de se faire bouffer. 67% du budget de la culture à Paris, 80% pour le théâtre, ça nous on dit que c'est nase. Pour nous l'Occitanie a un siècle, ça veut dire qu'on reverse la tour Eiffel...
Ali Kalai: Je veux vous dire quelque chose en ce qui concerne l'Occitanie et toutes vos démarches. Moi j'ai assisté, il y a deux ans, à une fête que vous avez faites chez nous et je peux vous dire qu' il n'y en a pas beaucoup qui sont venus à Marseille, où qui reviendront et qui pourront faire marcher 2000 Marseillais, ne serait ce que cinq cent mètres, et vous vous l'avez fait du centre ville jusqu'au Marché aux Puces. Il y avait 2000 Marseillais venus exprès pour faire cette marche avec vous. Je vous le dit, on est dans un cercle où on se réunit tous, même si ce qu'on fait est différent, les mentalités se rejoignent. D'ailleurs c'est pas pour rien, moi je ne crois pas au hasard, si on s'est rencontré tout à l'heure dans la rue c'est que vous saviez qu'on allait arriver, il fallait qu'on se rencontre. A Marseille moi je connais les gens avec qui vous travaillez, ce sont nos amis. Comme je le dis, il ne faut pas tout le monde pour tout mais pour tout il faut un monde. Voilà, nos mondes ne sont pas pareil mais ils se rassemblent, se réunissent.
François Bacabe: De toute façon ce sont des mondes qui ne sont pas fermés et qui ont justement comme beauté d'être ouvert à celui du voisin.
Ali Kalai: Tout à fait, d'ailleurs je découvre ça pendant la promotion que l'on fait en ce moment. On prend le train, on va dans des villes extérieures. J'ai fais ça à un époque où j'avais vingt ans, dans un autre contexte, c'était différent. Aujourd'hui je le fais avec peut être moins d'argent, c'est mieux, c'est plus chaleureux, ça m'envoie vers la rencontre, l'ouverture. Le monde du rap n'est pas fermé, les gens sont peut être trop dans leur domaine, ces rappers là ce qu'ils font ils le font à fond, c'est peut être pour ça qu'on a l'impression qu'ils sont refermés dans leur monde. Rien que la démarche qu'on fait, nous, pour vendre, écouter notre musique prouve bien que c'est ouvert, que nos messages arrivent à passer.
Ce serait bien d'envoyer un vinyl à la Compagnie Lubat?
Kepdany: On l'a fait, on a contacté Bernard Lubat.
Bien. Finalement sur la palette musicale, qu'on retrouve sur la Linha Imaginòt, a partir des Fabulous Trobadors, il ne faut pas oublier la Compagnie Lubat. Ca fait quand même vingt ans que Lubat est retourné à Uzeste, il n'y a pas vingt ans qu'il a pris conscience de l'importance de cette Occitanie que tu ne voix pas, mais depuis plus de dix ans, il a rencontré Castan, il a lu, travaillé, et tout d'un coup, si ça n'a rien changer à la force de sa musique bien au contraire, ça la renforcée et aujourd'hui, sur la linha, c'est lui le plus proche du rap.
Kepdany: Ce que je voulais dire au sujet de l'Occitanie, j'avais pas finit, si je la vois pas c'est par rapport aux textes. Les jeunes qui sont avec moi n'écoutent pas encore les textes parce que ça ne les interpelle pas, ils ne vont pas encore chercher jusque là. Ils écoutent des textes américains... Des textes en occitan ça va être dur pour eux parce que c'est loin... Par rapport à l'esprit de faire un truc tous ensemble, parce que l'Occitanie c'est ça aussi, j'ai été sélecte de Massilia, j'ai été beaucoup avec eux, je comprend pas tout, mais je vois exactement l'esprit. Ca va plus loin. Pour l'instant on ne parle même pas d'identité mais des sujets sur ce qui se passe, on a pas encore dit: "ça s'appelle comme ça notre identité", on dit ça s'appelle hip hop, c'est plutôt large, on a pas encore ce truc de dire on est Occitan... Chez nous il y en a pleins qui viennent... c'est Algérie, c'est d'autres pays, les comoriens... ect. Ils ne peuvent pas se revendiquer occitans!
Jean Paul Becvort: Attend, c'est pas comme ça qu'on l'entend. Félix Castan l'a écrit depuis longtemps, l'Occitanie c'est pas un ethnisme; c'est anti-régionaliste, anti-nationaliste, par contre, et ça c'est grâce à la littérature occitane qu'on le comprend depuis des siècles, c'est que d'une part, on ne le sait pas assez, la première inquisition par le monde a été crée contre les Occitans à Toulouse, par les Dominicains au XIII eme Siècle, contre les cathares pour fermer la gueule aux gens. Donc l'histoire de l'Occitanie, par sa littérature, nous apprend à travers les siècles, justement, que c'est la solidarité entre les gens qui permet de s'organiser... Regardez, il y a un truc rigolo. Souvent la France parle qu'ils ont fait la Révolution en 1792, ils ont donnés un statut aux juifs avec l'Abbé Grégoire, c'est scandaleux déjà, un statut! Hé bien il faut savoir qu'à Toulouse il y avait des Maires juifs au XIIIeme Siècle. Le premier en 1227 c'est Elie Asar. Je suis sur que si vous cherchez bien sur Marseille, vous verrez que cette ville est cosmopolite depuis toujours, méditerranéenne, où tous les gens se sont abarejat, comme on dit. L'Occitanie c'est pas du tout un truc d'ethnisme, ça a rien à voir avec les Corses, les Bretons... ect. Ca part d'un collectif, c'est essentiel. Là, ce qui nous snobe tous, qu'on a en commun, c'est qu'on a un pays très centralisé, donc l'Occitanie c'est organisons nous pour que la France soit plus intelligente. Tout ce qui a été occulté, à savoir des cultures halogènes comme la culture Occitane, qui a un prix Nobel, Mistral c'est un Provençal, c'est chez vous, et ça on en parle jamais... L'Occitanie révèle la vérité de la France, un pays où il y a neuf peuples au départ, elle révèle aussi le nationalisme français et donc aussi un rapport à l'émigration qui est stupide. L'Occitanie est un détonateur pour voir les choses à l'envers.
Kepdany: C'est un peu ce qui se passe avec Kifkif. Ca s'étouffait, on est parti à New York parce qu'il y avait là-bas le matériel qui est imparable, au niveau du son tu ne peux pas avoir la qualité qu'ils ont, c'est pas possible, mais il faut savoir que les instrus et les voix ont été fait à la Belle de Mai, tout par de Marseille...
Jean Paul Becvort: Ce qui est très fort dans votre démarche c'est que vous allez là où c'est bon, ça prouve que vous n'êtes pas des provinciaux. Un provincial il pense tout de suite "s'il faut que ça marche il faut aller à Paris voir ce qui se passe". Vous, si à Paris c'est bon vous allez à Paris mais si c'est bon à New York vous allez à New York. Vous êtes des gens majeurs et ça c'est capital.
Propos recueillis par Jacme Gaudàs
Le Squad
19,rue Chaten Redon
13001 Marseille
Tel: 04 91 33 28 45 / O6 11 45 36 90